En admirant tous ces champs qui illuminent la grisaille ambiante , un souvenir particulier me revient en mémoire.
1958/59
Mes parents vivent dans un poste de brousse : une dizaine d'agents du chemin de fer, deux magasins pour les autochtones, un couvent avec trois religieuses, un petit hôpital, une cité indigène.
Madame Diamantaras ( j'ai oublié son nom mais on dira que...) a prévenu ma mère qu'elle a reçu quelques métrages de coton susceptibles de l'intéresser. Ma mère me l'a écrit.Quelques semaines plus tard je reçois un colis dans lequel je trouve à côté des douceurs-maison,et deux nouvelles robes qu'elle a confectionnées .
Une d'un rouge chaud parsemé de grosses pastilles blanches .Coupe près du corps terminée par un large volant à la mode espagnole, je l'adopte aussitôt!
Et une jaune pissenlit( ou presque) avec des rayures blanches.le modèle et la coupe sont parfaits mais la couleur...:-( !!!Je sais déjà qu'elle va rester dans l'armoire parce que la couleur ne me plaît pas!Les copines sont là, qui attendent comme chaque fois qu'un colis parvient à l'une d'entre nous: " Elles sont belles ! Dis donc tu pourras les mettre pour sortir ", comme si je sortais souvent :-() !
Et "Mère W." , qui aime participer au plaisir de ses ouailles, de surenchérir:' Tu as de la chance, Danielle, ta maman te gâte, et pourtant tu sais que la vie n'est pas facile pour elle ,etc..." J'en aurais mauvaise conscience, tiens!
C'est vrai que ma mère fait beaucoup pour moi et je sais ce que cet envoi lui aura coûté de temps et d'argent. Mais c'est plus fort que moi, le jaune, je n'aime pas !Et moins encore celui-là!
C'est alors que je remarque qu'une de mes copines est vraiment séduite par cette robe .Elle l'examine , la place devant elle,se regarde dans la glace !La proposition fuse tout naturellement.:"Si tu veux, si elle te va, je te la prête.Tu la portes jusqu'aux vacances de Pâques !Tu me la rends.Au retour, je te la rends..tu me la rends définitivement fin juin":-) "Et ce fut ainsi que la robe jaune prit du service pour le plaisir d'une amie qui avait ""moins de chance que moi ""mais qui me prêta , à loisir , sa collection de 45 tours.:-).Prêtant, prêtant quoi!
Bien sûr, j' ai écrit à ma mère pour la remercier et lui dire mon plaisir d'avoir deux nouvelles robes à porter le samedi et le dimanche après-midi quand l'uniforme n'était pas obligatoire.Avec ma copine, nous avons fait de notre genre jusqu'à la fin du troisième trimestre de notre quatrième latine ,jusqu'à ce que je doive faire mes bagages, vider ma chambre définitivement et dire adieu à ma vie de pensionnaire parce nous étions en juin 1959...le congé en Belgique était programmé...et que 1960 s'agitait déjà en coulisses.
Après, il y eut mon premier voyage avec accès à la salle à manger des adultes qui fut aussi mon dernier voyage sur un paquebot, ma dernière escale à Ténérife...
Les vrais moments difficiles m'attendaient et il n'y eut plus jamais de robe jaune au programme !!Parce que j'aime pas le jaune!
*Madame Diamantaras...j'ai choisi ce nom parce que ,en brousse, les magasins pour les indigènes étaient souvent tenus par des familles grecques.La population locale y trouvait un peu de tout pour autant que ce soit non périssable.Sous les toits en tôles ondulées, il y faisait souvent étouffant et l'odeur de la farine de manioc et des morues séchées pendues au plafond investissait vos narines immédiate ment et pour longtemps .D'ailleurs rien que d'y penser...Installés à l'ombre d 'un manguier ou d 'un palmier, un ou " deux tailleurs confectionnait " capitula"( shorts) ou chemises pour les hommes,ou des corsages pour les mwanamoukes. J'aimais bien les regarder pédaler à toute vitesse sur leur machine à coudre.
Pour rappel, mes parents vivaient en brousse, là, où mon père était désigné .En 58/59 ils se trouvaient à Mutshatsha, dernière gare importante avant Dilolo, à la frontière angolaise.
Moi, j'étais en pension, en ville,( Jadotville-Likasi) à des centaines de kilomètres.Ce qui me valait de longs voyages en train...départ tôt le matin pour arriver chez moi dans la nuit, seule dans un compartiment,( rien à voir avec nos voyages actuels) ..mon père me récupérait à la gare, une route à traverser, un seuil à franchir...un lit sur lequel m'affaler...une fois par trimestre, bien sûr!
Au fait, pourquoi tout ceci, ah, oui..