Comme un papillon, j'oublie le temps qui me reste et où la vie me conduit.Quelle importance, j'ai le coeur immense et le monde est petit. Ce qui compte, c'est d'avoir envie ( F.Gall)

mardi 9 août 2011

On n'oublie pas ces choses là..

Ce mercredi 8 août 1956

Les valises sont quasiment bouclées. Mon père épuise ses derniers jours de congé en Belgique. Son avion décolle  fin de semaine et nous , nous irons le retrouver en septembre.
Nous revenons d’une longue ballade dans les Ardennes .En descendant sur la région de Charleroi, le ciel est couvert et surtout il y a ce nuage de mauvais augure. Un incendie ?  «   Non, dit ma mère . C'est le feu!! Le feu à ma mine!!!  Ce doit être au Cazier - et elle ajoute : François !( mon oncle) « . En digne fille de mineur, elle a déjà compris. 

Nous roulons au pas et pourtant il n’y a quasiment pas de circulation. Le silence épandu sur la région est palpable, lourd, angoissant. Mon père essaye de s’approcher .Il nous faut savoir. Mais cela nous est impossible.  L’armée et la gendarmerie sont partout, ce n’est pas un incendie » ordinaire ».Alors, il nous ramène à la maison mais repart tout aussitôt aux nouvelles. Tout le plaisir de cette belle journée s’est  évanoui. Avec ma grand-mère, nous nous installons dans la cuisine et allumons la radio. 

Et nous apprenons que ce jour-là, à 8h 10 du matin, l'encageur du niveau 975 a introduit un wagonnet plein dans la cage servant à remonter le charbon en surface. Le wagonnet plein qui arrive doit pousser automatiquement le wagonnet vide hors de la cage. Le mécanisme est défectueux. Les deux wagonnets dépassent de part et d'autre. Quand la surface rappelle la cage, les wagonnets heurtent immédiatement une poutrelle. Une canalisation d'huile éclate en même temps, des câbles électriques sont sectionnés. Instantanément un incendie naît, aspiré vers le fond, se répandant au passage dans toutes les galeries.  Le drame s’est produit dans le puits d’entrée d’air et s’est propagé dans les galeries vers le puits de sortie d’air.   C’est par un puits en construction tout proche que les sauveteurs interviennent.  Ils ne ramènent que 6 survivants.
Le plus gros de l’équipe( il est presque 18h au moment où nous écoutons les nouvelles) est  toujours  dans le fond. Mon père revient à la nuit tombée, il nous raconte les grilles fermées, les femmes et les enfants accrochés à cette grille et le silence assourdissant.
Ma mère s ‘inquiète pour mon oncle.

Le matin de ce  jour d’août ensoleillé, mon grand-père ( ex chef porion et sauveteur)  écoute la  radio  comme à son habitude et bien sûr, c’est le choc. Vite sa lampe, son casque et le voilà  parti  afin de gagner aussi vite qu’il le peut la mine en feu. Il est pensionné , malade, mais  il se dit que toute les bonnes volontés doivent se manifester et puis il y a son beau-fils qui doit être là, il veut savoir. ( ce jour –là le manque d ‘assiduité de mon oncle lui a sauvé la vie ) .

Les sauveteurs espèrent  trouver des rescapés dans une poche d’air à 1035 mètres mais les prisonniers de la fosse ne sont jamais parvenus jusque là.  Le 22 Août, à 3 heures du matin, les équipes de sauvetage déclarent en italien "tutti cadaveri". Les derniers corps ne seront remontés que 4 mois plus tard.




262 hommes(dont 136 Italiens, 95 Belges, 8 Polonais, 6 Grecs, 5 Allemands, 3 Hongrois, 3 Algériens, 2 Français, 1 Anglais, 1 Néerlandais, 1 Russe et 1 Ukrainien) ont perdu la vie dans cette tragédie ..


Toute la région est sous le choc. Des jours durant la radio diffuse de la musique  de circonstance ; dans  les journaux  , dans les revues , il y a toutes ces photos  témoignages cruels, d’espoir déçus , de souffrance, de chagrin.



 Près de chez nous, une maison reste ouverte sur la rue. La pièce de devant, la belle pièce est pleine de fleurs dont le parfum  enveloppe ce que je  m’obstine à ne pas voir…j’ai envie de savoir et en même temps j’ai peur. J’ai 13 ans .J'ai du sang de mineur dans les veines.Alors j'irai jusqu'au seuil ...et je laisserai au temps.. la tâche de graver  mes souvenirs.


Depuis, on commémore le drame. Pas un responsable politique ni une altesse royale qui ne soient allés rendre hommage à ces mineurs, grands hommes de notre petite histoire. La nôtre, mais aussi celle de l'Italie .





Aujourd’hui le site est un lieu de souvenir qui mérite une visite consciente et recueillie. Mais les ex-minatori ont aussi veillé à ce que ce lieu soit un lieu de vie et de partage.


 Hier matin, la cloche a sonné 262 fois, dès 8h 10.A chaque coup de cloche, on a cité le nom d'une victime piégée dans la fournaise, ce mercredi 6 août 1956, il y a 55 ans.

On n'oublie pas ces choses-là!

8 commentaires:

  1. Un billet vraiment très émouvant, Danielle !
    Merci de nous faire partager cette gravité, cette émotion et ce souvenir familial...
    Norma

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  2. C'est certain qu'on ne peut oublier ce type d'évènement dans une région même si cet accident minier a eu lieu il y a 55 ans ! C'est bien de rendre hommage à ces hommes qui mettaient souvent leur vie en danger et à leurs familles ... Toujours poignant ces évocations !

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  3. Quelle coïncidence, Danielle, j'ai écrit, avant-hier (véridique !) à peu près ce commentaire sur un blog ami : "Merci pour cette très belle promenade insolite (il s'agissait de Faymoreau, en Vendée)… J'ai toujours ressenti une certaine émotion face au monde de la mine de charbon, que ce soit à travers les descriptions que j'en ai lues dans mon adolescence (avec les incontournables Germinal, Qu'elle était verte ma vallée, Treize hommes dans la mines !), ou les descriptions que m'en ont faites des amis polonais de mes parents qui ont connu cette vie dans un village que je connais bien, ou encore toutes ces visites de villages à corons de régions diverses que j'ai eu l'occasion de faire d'un bout à l'autre de la France (dans le Centre, le Nord, le Cantal...), c'est un monde qu'on ne devrait pas oublier, toute une époque, lorsque ces mines étaient encore exploitées au prix de tant de souffrances et de sacrifices humains, avec cependant l'amour du travail bien fait... Quand je pense qu'il a fallu une catastrophe comme celle de Courrières (1906, plus de 1000 morts, une 15aine de rescapés qu'on avait abandonnés et qui durent trouver le chemin de la vie tout seuls après 20 jours d'errance dans les chevalements dévastés...) pour que, enfin, on se rendît compte de la pénibilité, de la dangerosité des conditions de travail, des sacrifices de ces hommes, que dis-je, de ces enfants, de ces femmes, pour que la conscience des mêmes dangers partagés, confortée par le paternalisme des compagnies, aboutit, après un mouvement social des plus ample, à la reconnaissance, de quelques droits sociaux, dont le repos hebdomadaire… Au prix de combien de vies, oui, ne les oublions pas, n'oublions pas ce monde pas si lointain de nos grands-parents ou parents… Je ne suis pas sûre que nos crises politiques d'aujourd'hui aboutiront à quelque reconnaissance que ce soit, si ce n'est de stigmatiser encore plus les plus pauvres et les plus précaires !!!" Et, en ce moment-même, je suis sur une petite relecture où on parle de… gaillette, galibot, porion, hercheur…. Non, "on ne peut pas oublier ces choses-là", ton récit rejoint mes lectures du moment car, pour l'occasion, j'ai retrouvé aussi des livres écrits par des amis de mes parents, chercheurs au CNRS, sur le thème. Merci pour ce rappel de vécu, ce sont les récits les plus intenses ; c'est aussi l'occasion aussi pour moi de me rappeler ce village du centre de la France où j'ai vécu quelques années, un village jadis habité par des mineurs polonais et… belges, avec leurs corons et jardins potagers si bien entretenus et productifs, les après-midis foot ou pêche pour les hommes, le dimanche, après la messe, à ce qu'on m'a raconté... Il y avait quand même un peu de répit, un rayon de soleil dans leur vie... Bonne journée.

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  4. " Quelle était verte ma vallée" j'ai aimé le livre et le film....avec Maureen O'Hara dont j'étais fan absolue..et la musique! Je suis d 'une famille de gueules noires. A 10 ans, ma grand-mère maternelle travaillait sur le carreau de la mine..ça vous forge un caractère...mon grand-père était un homme très souriant, très gai et très doux..très généreux.A vivre dans la nuit, ces hommes connaissaient le prix de la lumière et du soleil et ils savaient apprécier les heures claires..

    Colibri, si tu es venue dans le nord de la France, tu as peut être visité Leuwaarde et Marchiennes. En Belgique, nous avons Bois du Luc..etc.
    Ma mère a grandi dans un coron où vivaient aussi des Polonais..dans notre région au passé minier, nous sommes tous très sensibles au souvenir.
    Nos enfants doivent savoir le prix du confort...

    Bonne journée à vous ....

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  5. Un très bel hommage et comme je suis de ta génération ce sont des évènements qui marquent à tout jamais et auxquels on repense forcément à chaque anniversaire, malgré le temps qui passe.
    bisous

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  6. Très emouvante ton évocation Danielle...
    Mes tantes (du côté paternel) qui étaient toutes modistes, avaient une amie très proche, née à Lens et fille et soeur de mineurs.
    Lorsqu'elle venait à la maison, elle évoquait souvent sa jeunesse près de la mine....
    Bonne journée et bisous.

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  7. C'est émouvant même poignant ce que tu nous racontes là ! Bel hommage à ces gens qui ont souffert et qui sont morts pour le confort de tous.
    Bon dimanche
    A bientôt

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  8. Mon enfance s'est déroulée bien loin de ces drames, mais nous étions touchés et écoutions les nouvelles radiophoniques régulièrement car mon père, mes oncles, mes grands-pères, avaient travaillé occasionnellement dans les mines de charbon. Ma mère a encore la lampe de mineur de mon arrière grand-père. Si éloignés, nous nous sentions pourtant solidaires et j'ai un souvenir très fort de ces moments tragiques.
    Ton témoignage est un vibrant hommage à ces travailleurs. Tu fais naître beaucoup d'émotions.
    Bonne soirée, et merci.

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vol(s) de papillon

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