Dans un courtil à ma mesure, le wallon est la langue qui me dit,
chaque jour, qui je suis.
Je pourrais parler de racines et de retrouvailles , mais tout bien réfléchi , je ne suis pas un arbre et quand bien même je le serais , à mon insu, j'ai le sentiment que mes racines m'ont toujours bien nourries et que , au fond de moi même , j'ai toujours su dans quel terroir elles faisaient provende. Ne parlons donc pas de retrouvailles , parlons plutôt de consécration d'un attachement vieux comme mon âge!
Je suis née au sein de deux familles ouvrières que faisaient vivre des hommes du verre, du fer et du charbon . Dans la cuisine où je suis venue au monde, les trois femmes èfoufîyes qui m'ont accueillie m'ont aussitôt parlé di bouneûr, di pléji èyèt d' tindrèsse !
C 'est entre leurs mains, labourées par la terre, griffées par le charbon et gerçées pa lès buwéyes que j'ai poussé mon premier cri avant de me laisser aller entre les bras de ma mère, une jeune ouvrière dont les baisers devaient avoir l'intense douceur de tous les " dj'vos vè voltî d'amon nos-ôtes.
Dans la maison, stampéye a 'ne pichîye d' l' Eûwe d'Eûre, le quotidien laborieux, paisible ou mouvementé, s'exprimait en wallon. Et dans le brouhaha de la famille réunie, une famille nombreuse aux parents unis dans le plaisir et la peine, c'est le wallon qui orchestrait tous les événements.
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Baron Pierre PAULUS.Berceuse |
Imbibée de cette chaude ambiance wallonne, j'ai vécu , dans l'insouciance de mes jeunes années , des aventures coloniales qui ne m'ont jamais vraiment éloignée du souvenir dès chîjes racrapotéyes ôtoû d' l 'èstûve èfeuwéye ni co d'l'istwêre dès sèt gad'lots !Eyèt l goût dès tôtes dèl ducace m'a poursuivie jusque dans mes pérégrinations entre palmiers et termitières.
Le wallon! Parlons-en!
Même si , dans le temps, comme beaucoup de "jeunes "de mon âge, j'ai dû faire face à une interdiction formelle de le parler, le wallon a toujours fait partie de ma vie . Malgré les interdictions ,et sans que je m'en aperçoive, il m'a très intimement investie pour mieux se révéler à moi lorsque , brusquement bousculée et mise à quia par les interrogations de la maturité , je me suis retournée sur le chemin parcouru .Il était là ,le wallon, chaleureux et si proche de moi qui ne savait plus où trouver, dans ma langue "officielle", les mots pour continuer de dire et d'écrire les émotions qui me submergeaient.
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Baron Pierre PAULUS.Village Houiller |
Il était là , ce parler sur lequel je ne m'étais jamais posé de question. Et voilà que, très sérieusement ,on m'apprenait qu'il était une langue à part entière et qui plus est ma langue maternelle .Et moi, la wallonne, je l'ignorais ! Encouragée par deux femmes proches de moi, mise par elles en confiance et au défi d'écrire à nouveau mais dans cette langue faite sur mesure pour mon âme wallonne, j'ai traqué , avec passion , tous les mots que je reconnaissais pour miens ; je les ai notés soigneusement jusqu'à ce que , pleine de leurs images et de leur charge d'émotions ,je m'abandonne , enfin, au plaisir retrouvé de l'écriture. Oh! Plus pour raconter comme je l'avais fait ,en français ,les heures limpides d'une existence vouée à la vie familiale.
Non! Se rendant maître de mes pensées, le wallon m'a donné l'audace d'aller jusqu'au bout de mes inquiétudes, de mes colères, de mes révoltes. C'est grâce à cette langue riche de nuances que, en parlant de la guerre et de ses atrocités, en racontant la femme , les enfants bafoués et martyrisés, en évoquant l'exploitation des pauvres par les nantis avides de pouvoirs de toutes sortes , j'ai pu, en me libérant du trop plein d'un abcès douloureux ,,retrouver avec le sentiment d' une intense délivrance, l'équilibre de ma vie personnelle et avec lui , une sérénité qui me tourne aujourd'hui vers une écriture pacifiée, plus intimiste sans doute, plus féminine peut être , mais qui reste cependant à l'écoute de tout ce qui fait frissonner l'humanité.
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Baron Pierre PAULUS.Jeunesse |
Je n'ai pas choisi d'écrire en wallon...
J’écris en wallon ...parce que le sang de ma vie est wallon et que rien de ce qui est wallon ne peut par conséquent me demeurer étranger, a fortiori, la langue des gens de mes gens. Bien sûr , j'aurais pu me contenter de "l'entendre "ce wallon, mais voilà: quand les premiers mots qui vous parviennent dans la chaleur du berceau sont des mots wallons, quand on vous aime en wallon, c'est le wallon qui tout naturellement remonte à la surface quand vos eaux intérieures perdent leur tranquillité.
A vivre toutes portes ouvertes, attentives aux événements de chaque jour, il y a des moments où le besoin se fait sentir d'évacuer un trop plein de lassitude, de regrets, de colère, de révolte. Quand j'en suis là, c'est tout naturellement vers le wallon que je me tourne. C'est comme si j'allais m' asseoir auprès de ma grand-mère et des gens de sa génération. Elle ne parlait français que comme une langue endimanchée. Si je reniais les mots dans lesquels elle m'emmaillotait, ce serait comme si je la reniais, elle, comme si je l' enterrais une seconde fois pour mieux la faire disparaître.
Ainsi quand j'écris en wallon, je parle à ma petite enfance même si mes textes ne ressassent pas des souvenirs vieillots, même s'ils évoquent des ambiances, des événements contemporains. Je dialogue avec ma parentèle . Dialogue de sourds, peut être, mais aussi et surtout fidélité à ce que furent tous ces êtres aimés.
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Baron Pierre PAULUS.Fumées. |
Pour moi, le wallon, c'est le jardin secret où je me retrouve telle que je suis avec mes faiblesses avouées, mes colères, mes désespoirs, mes forces humaines à renourrir
C'est dans ce jardin que mon écoute se fait plus attentive encore, c'est dans ce jardin que ma conscience s'aiguise, c'est dans ce jardin que je me ressource, courtil privilégié dans lequel je me mets à l'abri des zones de turbulences pour mieux les dénoncer par après.
Je n'ai pas choisi d'écrire en wallon.
Le wallon était en moi dès ma venue au monde dans cette petite cuisine wallonne. Tout simplement, à la faveur d'une révolution intime, il a repris ses droits sur mon coeur et sur ma mémoire. Chaque jour, il continue de me dire avec son accent à nul autre pareil les multiples richesses qu'il met à ma disposition pour que je puisse, selon mon humeur, parler d'orage ou d'arc en ciel.
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Baron Pierre PAULUS.Berceuse |
Je n'ai pas retrouvé mes racines. Je n'ai pas eu à les rechercher. Elles ne m'avaient jamais quittée ! Car, c'est en m'encourageant en wallon que ma grand mère m'apprenait à lire...le français. C'est en wallon qu'on m'apprenait à grandir et qu'on m'expliquait pourquoi " je devais parler comme on m'apprenait à l'école" ! Avec l'âge et la pratique de cette langue chargée d'émotion , j' ai compris pourquoi, j'ai la tendresse vouvoyante . Reliquat d'une éducation wallonne populaire autant que sage , ce vouvoiement c'est toute la pudeur d'une race pour qui dire "
Dj' vos wè vol'tî "( je vous aime) relève presque du sacré
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Baron Pierre PAULUS.Le coq hardi. |
La création du drapeau wallon remonte à 1913, il a été peint par Pierre Paulus à la demande de Paul Pastur suite à la décision prise par l'Assemblée wallonne d'adopter comme emblème de la Wallonie le coq hardi de gueules sur or.
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Merci pour ce très beau et très émouvant témoignage sur tes racines et ta langue wallone...
RépondreSupprimerJe me pose une question : cette langue a-t-elle des rapports avec le patois des "gens du Nord" de chez nous, nos ch'tis que j'aime beaucoup !!
Bonne journée Danielle.
Comme c'est intéressant ce récit sur les origines et la langue qui font de nous les êtres que nous sommes aujourd'hui et je suis ravie de découvrir ici ces toiles de Pierre Paulus et de Maximilien Luce qui en disent beaucoup sur les conditions de travail et de vie des ouvriers autrefois! Bon week-end à toi
RépondreSupprimerVoilà un beau témoignage Danielle. Merci de l'avoir partagé avec nous.
RépondreSupprimerLinda
J'ai découvert votre blog, qui me touche beaucoup. Fier d'jes wallon ... ! (Désolée, je ne sais pas écrire en wallon !)
RépondreSupprimerEt quel bonheur de voir que vous mentionnez Pierre Paulus. Bien cordialement
Martine ( neverthesame.eu@skynet.be )